Friday, 14 June 2013

L'anglais à l'Université



La dernière polémique en date concerne un article de la récente loi sur l’enseignement supérieur autorisant les cursus en anglais dans nos Universités. D’aucuns y voient la fin du français, voire de la France. Jacques Attali, qui jadis prôna la mesure dans son rapport sur les clés de la croissance, tonne contre : c’est qu’il veut se faire élire à l’Académie française. Il y a je crois chez les opposants au projet (qui au passage ne concernerait que 1% des cursus universitaires, et qui pour les grandes écoles entérinerait une réalité de fait – mais chut !), il y a chez les opposants donc, beaucoup de nostalgie du temps où le français était la langue des élites. Or, si l’on veut que la langue française retrouve son influence de jadis, il faudrait redonner à la France sa suprématie politique, militaire et économique sur l’Europe et sur le monde. Une langue et une culture influentes, ce sont d’abord, toujours, et tout à la fois, une armée plus puissante que celle des autres, une démographie plus dynamique que celle des autres, des entreprises conquérantes, des scientifiques et des ingénieurs innovants, et des moyens financiers et matériels colossaux mis à leur service. Comment croyez-vous que le grec, puis le latin, puis le français, sont devenus en leurs temps les langues véhiculaires des esprits cultivés en Europe ? Les autres peuples étaient-ils composés d’idiots qui n’avaient rien à dire ? Non : mais leurs armées furent défaites par Alexandre, par César, par Louis XIV. Les auteurs de polars américains, connus partout dans le monde, sont-ils meilleurs que les Français, qui ont, n’est-ce pas, un tout petit peu plus de mal à s’imposer hors hexagone ? Non : mais les Etats-Unis ont dix porte-avions en activité, et la France un seul. Et une économie (encore) dominante. Et Google, et Facebook, et YouTube. L’exemple du français devrait d’ailleurs rassurer les passéistes : les autres langues n’ont pas disparu entre le XVIIe et le XXe siècles parce que les érudits et les diplomates conversaient en français. Pourquoi le français, relégué au rang de langue locale, disparaîtrait-il ? Il est d’ailleurs en expansion constante : contrairement à une idée reçue, le nombre de francophones ne cesse de croître partout dans le monde, ainsi que le nombre de non francophones qui apprennent le français. Evidemment, leur nombre croît mon vite que celui des non anglophones qui apprennent l’anglais, mais la langue de Tatiana de Rosnay (auteur français le plus lu en Europe et aux Etats-Unis ces deux dernières années) a encore de beaux jours devant elle, à condition que les pays francophones ne ratent pas le train de la mondialisation et refusent de se mettre à l’anglais. C’est paradoxal, mais pas contradictoire. Car les étudiants en chimie ou en astrophysique chinois, indiens, allemands, brésiliens que l’on espère attirer par cette mesure apprendront aussi le français une fois chez nous, et seront des ambassadeurs de la culture française une fois rentrés chez eux, pour peu qu’ils aient été bien accueillis. Quant aux chercheurs français, le recours à l'anglais s'impose pour eux, qu'on le veuille ou non. Il faut leur donner les moyens de se faire entendre dans le concert anglophone du savoir. Un érudit du Moyen-Age parlait latin, d'où qu'il soit. Aujourd'hui il parle anglais. Certes, à l'époque le latin n'était plus la langue maternelle de personne, contrairement à l'anglais aujourd'hui, ce qui place les autres en situation de handicap au départ. Mais peut-être aussi en situation d'avantage, tant il est vrai que parler plusieurs langues est un atout, et tant il est vrai que les populations anglophones dans leur ensemble, qui s'en mordront les doigts un jour, négligent les langues vivantes.

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