La dernière polémique en date concerne un article
de la récente loi sur l’enseignement supérieur autorisant les cursus en anglais
dans nos Universités. D’aucuns y voient la fin du français, voire de la France.
Jacques Attali, qui jadis prôna la mesure dans son rapport sur les clés de la
croissance, tonne contre : c’est qu’il veut se faire élire à l’Académie
française. Il y a je crois chez les opposants au projet (qui au passage ne
concernerait que 1% des cursus universitaires, et qui pour les grandes écoles
entérinerait une réalité de fait – mais chut !), il y a chez les opposants
donc, beaucoup de nostalgie du temps où le français était la langue des élites.
Or, si l’on veut que la langue française retrouve son influence de jadis, il faudrait
redonner à la France sa suprématie politique, militaire et économique sur
l’Europe et sur le monde. Une langue et une culture influentes, ce sont
d’abord, toujours, et tout à la fois, une armée plus puissante que celle des
autres, une démographie plus dynamique que celle des autres, des entreprises
conquérantes, des scientifiques et des ingénieurs innovants, et des moyens
financiers et matériels colossaux mis à leur service. Comment croyez-vous que
le grec, puis le latin, puis le français, sont devenus en leurs temps les
langues véhiculaires des esprits cultivés en Europe ? Les autres peuples
étaient-ils composés d’idiots qui n’avaient rien à dire ? Non : mais
leurs armées furent défaites par Alexandre, par César, par Louis XIV. Les
auteurs de polars américains, connus partout dans le monde, sont-ils meilleurs
que les Français, qui ont, n’est-ce pas, un tout petit peu plus de mal à
s’imposer hors hexagone ? Non : mais les Etats-Unis ont dix
porte-avions en activité, et la France un seul. Et une économie (encore) dominante.
Et Google, et Facebook, et YouTube. L’exemple du français devrait d’ailleurs
rassurer les passéistes : les autres langues n’ont pas disparu entre le
XVIIe et le XXe siècles parce que les érudits et les
diplomates conversaient en français. Pourquoi le français, relégué au rang de
langue locale, disparaîtrait-il ? Il est d’ailleurs en expansion
constante : contrairement à une idée reçue, le nombre de francophones ne
cesse de croître partout dans le monde, ainsi que le nombre de non francophones
qui apprennent le français. Evidemment, leur nombre croît mon vite que celui
des non anglophones qui apprennent l’anglais, mais la langue de Tatiana de
Rosnay (auteur français le plus lu en Europe et aux Etats-Unis ces deux
dernières années) a encore de beaux jours devant elle, à condition que les pays
francophones ne ratent pas le train de la mondialisation et refusent de se
mettre à l’anglais. C’est paradoxal, mais pas contradictoire. Car les étudiants
en chimie ou en astrophysique chinois, indiens, allemands, brésiliens que l’on espère attirer par cette
mesure apprendront aussi le français
une fois chez nous, et seront des ambassadeurs de la culture française une fois
rentrés chez eux, pour peu qu’ils aient été bien accueillis. Quant aux chercheurs français, le recours à l'anglais s'impose pour eux, qu'on le veuille ou non. Il faut leur donner les moyens de se faire entendre dans le concert anglophone du savoir. Un érudit du Moyen-Age parlait latin, d'où qu'il soit. Aujourd'hui il parle anglais. Certes, à l'époque le latin n'était plus la langue maternelle de personne, contrairement à l'anglais aujourd'hui, ce qui place les autres en situation de handicap au départ. Mais peut-être aussi en situation d'avantage, tant il est vrai que parler plusieurs langues est un atout, et tant il est vrai que les populations anglophones dans leur ensemble, qui s'en mordront les doigts un jour, négligent les langues vivantes.
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